• Lire "en réseaux". Quels enjeux ?

    Eléments théoriques et pratiques d'un stage organisé par Mme Chantal Leleu et Mme Isabelle Nallet, professeurs d'IUFM.

     Cahier journal

    Il est des mots, qui, placés dans certains contextes, devraient pouvoir prétendre à une dérogation expresse en termes de relations sémantiques. « Résonnance » et « réseau », en l’occurrence, bien que d’origines différentes, pourraient être de ces exceptions étymologiques validées par l’Académie Française lorsque l’on parle littérature. Outre la proximité phonétique des deux mots, il est quelque chose d’intrinsèque qui les lie lorsque l’on lit.

    Aujourd’hui, en effet, les travaux faisant intervenir l’imagerie cérébrale ont montré la spécificité et la complexité de l’acte de lecture : celui-ci active un maillage d’opérations mentales imbriquées qui résonnent entre elles. Une image fidèle de ce réseau « résonnant » pourrait être un bon vieux « filet » qui, pour faire prise, se doit d’être solide en chacune de ses mailles et éviter les remous de la surface, tout en laissant un espace de "respiration" interprétatif suffisament large (les "trous" du filet). Autrefois appelé « rete » en latin, ce filet est justement l’ancêtre du mot « réseau ». Mais lorsque les mailles sont déliées, les "trous" sont des lacunes (lacuna : "trou") : ils ne permettent pas la prise - de sens - , et empêchent donc les élèves de comprendre (comprenez "co-prendre"). Combien passent entre les mailles ? Pourrons-nous les aider en raccomodant leurs filets ?

    Faire lire en réseaux revient peu ou prou(e :) à effectuer cette réparation dans la tempête de la culture (à la surface mouvante lorsqu'elle est de masse, mais dont les abysses plus profonds reposent sur un socle stabilisé et ancien) par établissement de connexions entre plusieurs éléments d’apparence hétéroclites pour créer du sens. Tentons une Lapalissade : plus le raisonnement s’appuie sur une certaine résonnance, moins il y a contradiction entre les intentions d’un texte et la subjectivité du lecteur, car il existe en effet un sens « interdit » et un sens « partagé », avec, entre les deux, un panel de possibles; mais au contraire de l’opposition (le sens interdit), ce qui permet la connivence (du latin "conniventia, -æ"; même sens), c’est ce que l’on appelle justement la culture ; celle qui fait sortir de l’expérience subjective égocentrée pour faire atteindre une subjectivité décentrée (j’hésite ici à parler d’objectivité car en écho aux propos  d'un certain Umberto, il est bien imprudent de décider que l'oeuvre d'art - car il s'agit bien de cela ici - a un sens unique !). Ainsi, proposer comme objet des subjectivités multiples (mais ordonnées), c’est faire entrer l’élève en contact avec la culture, celle qui permet la résonnance, le raisonnement, en un mot, la compréhension.

    Entendre dire : « Cette histoire me fait penser à quand ma petite sœur a perdu son doudou », c’est faire avancer l’élève vers un monde de sensibilités et d’esthétisme qu’offre le livre de littérature jeunesse, créer un rendez-vous avec un plaisir dans lequel on retrouve beaucoup de soi. Faire dire que « … cette histoire me rappelle un autre livre qui parle du même sujet », c’est stabiliser ce plaisir dans un tout plus vaste et plus consistant qui résonne avec d’autres sensibilités.

    Mais alors… Que doit-on faire résonner pour qu’ « ils » raisonnent ? Quelques propositions à présent. Il ne serait pas inintéressant de mettre en relation des oeuvres :

    -       Dont la relation texte/image s’exprime dans la redondance, l’opposition ou la complémentarité

    -       Ayant un même auteur

    -       Proposant plusieurs versions d’une même histoire

    -       Proposant plusieurs écritures d’une même trame

    -       Appartenant au même genre

    -       Ayant un même motif (traitement différencié d’un même thème)

    -       Présentant des stéréotypes (différents ou semblables) d’un même personnage

    -       Embrassant la même structure narrative (récits enchâssés, fins ouvertes…)

    -       Proposant une intertextualité ostentatoire

    -       Proposant une « intericonicité » évidente

    -       Appartenant au même genre (théâtre, policier, conte…)

    -       Ayant des personnages communs

    -       Adoptant le même point de vue

    -       Acceptant le même type d’énonciation

    -      Croisant plusieurs des éléments énoncés et dans des domaines différents (peinture, musique, cinéma...)

    Ici, quelques propositions concrètes qui font suite à un stage que j’ai effectué au courant du mois d’avril 2011. Bonne lecture.

       Autour de la Joconde (Merci à Hélène Benezet et ses collègues pour ce travail !)


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